Les Poils





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Témoignage :

En tant que personne queer, la virilité associée à la pilosité ne me dérange pas forcément toujours, bien qu'on puisse la considérer comme féminine. Je ne trouve pas mes poils moches, mais je sais que leur présence et leur exhibition est en quelque sorte un acte transgressif. Je n'ai pas choisi ce corps velu, mais j'apprends à l'accepter. L'été passé, je me suis pas épilé les jambes. Je suis sortie avec ces poils noirs, épais, nombreux et longs. Je les trouve doux, pas toujours beaux, mais sans, j'ai l'impression d'être une poule plumée anesthésiée. J'aime mes jambes avec et sans poils. Parfois je me surprends à jouer avec leur longueur et les codes genrés qui y sont liés, y compris ceux qui poussent sur ma tête. D'autres fois, ce complexe m'oblige à faire une balance des intérêts : supporter et ignorer les regards ou perdre du temps à me violenter. Souvent, je finis par me couvrir les jambes, car je manque de courage et de patience pour passer des heures à arracher des bouts de moi considérés comme dérangeants. C'est quand même bien trouvé économiquement : on manipule la population pour considérer que la moitié d'entre elle doit, pour être validée, dépenser régulièrement pour se faire souffrir afin d'arracher une partie de son corps qui finira par repousser, dans les deux sens du terme. Cette mutilation renouvable volontaire est presque devenue un devoir social, à l'instar des impôts. Ne pas s'infliger ce rituel devrait être un droit. J'envie les hommes cis ou qui passent pouvant se pavaner librement, sans contrainte physique. Comme les tétons qui doivent être cachés arbitrairement, les poils apparemment "féminins" sont par définition honteux, moches, tabous, interdits, encombrants. Ils sont en trop, en surplus. Dois-je rappeler qu'on parle d'une grande partie de (mon) corps? En tant que féministe militante, je m'encourage à porter le poil afin de participer à cette proposition alternative, celle de la non-conformité, de la non-binarité et de la non-violence. J'aimerais surtout mettre en lumière un chemin trop souvent ignoré, je désire évoquer une direction que peuvent aussi prendre toutes les personnes qui souhaitent simplement vivre comme elles l'entendent et être elles-même : celle de la liberté. Mon rapport au poils, lieu de débat, est donc complexe, enrichissant et stimulant.

Poème :

Douce, la légèreté d'un fil sur le rasoir posé
Comme une pétale corrolée de noire rosée
Un corsage apporté, corné de germes à rasseoir, sur la portée proposé
Comme un nuage garni de songes d'un soir arosés
Comme un voyage importé ou déchargé, importuné et épongé, à boire rosé
Un plumagé pelé ou évaporé, avorté avant d'avoir pu fermement fermenter

Particule de fragment à mille facettes troublée par le vent facétieux qui vibre
Le funambule emporté, dévoré par la trajectoire qui le ronge et le hante, imposée
Bulle moirée, étincelle tourbillonnante, échappe par miettes malicieuses en trouvant l'équilibre
À la cage noir policé, diaphragme toxique, démunie de calice qui fait vivre

Rares sont les plaines ornées de création, la fécondité devenue diaphane est dégagée et vidée
Lissés, sans caresse pleine murmurant en frissons
Rares sont les lignes dépassées, l'organe vital devenu thoracique est ménagé, évidé
Plissés, sans cesse lorgnée et délimitant chaque son

Ici en ces lieux sont les duvets défendus
Ici en ces dieux ne croie que l'aile suspendue
Au ciel, le paon-de-nuit fait valser l'oeil piquant et le seau vidé
Au ciel, les pans bruns nombreux de l'oiseau à la plume éthérée, sans saut élevée
Balaient d'une nage indécente l'image coupante du sceau enlevé, emprunté
D'un brin craint, renvoient la rage pincente d'une page frivole sans crin volé, empreintée

Taillées, les tiges honteuses par une liberté dans l'urne saignée, négligée
Arrachée, l'innocente indolence par une diurne violence déjà engagée
Un jardin gorgé d'arides secrets, déracinés
Un bouquet acide, dont la lanterne taciturne se fane, calcinée
Une graine avide semée par les embûches ternes et tannées
Une ride de sève irrigue sans feuillage, erigée

Papillons pâles, en sang de but en blanc, en rang brodé et buté, trop âgés
Pour dénicher une jeune pousse opale encore dessinée
Se lèvent et assèchent, brûlent et butinent leur butin jauni d'un rouge enneigé

Pour que n'entrave pas l'araignée bariolée tissant dans l'ombre tamisée, cachée

Sa toile confusante qui emmêle, déforme et méprise
Les normes décristallisées, les lois alors lâchées que maîtrisent
L'abdomen bombé d'espoir et les pattes délicates
Militant l'étoile éprise, se faufilant entre les ongles indécises
Filant des mouvements enjoués, déjouant les règles évanouies, trop longtemps apprises
D'une implication incomprise, d'une insensée inculcation léchée, et désormais prise

Mais la nature n'est pas mauvaise et l'herbe n'est pas morte
Le jeu ailé des maux constellés croise les doigts épanouis sur ce fil posés
L'herbe n'est pas mauvaise, la nature n'est pas morte

Car du bout d'une curieuse audace ouïe se laisse timidement toucher
Le droit bourgeonnant d'une tolérance inouïe, si on ose oser

Car du bout d'une furieuse cuirasse endeuillée, se laisse hardiment toucher
Le choix délibéré d'une délivrance effeuillée,
si on ose composer

©Emma Miletti

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