La Maigreur






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Témoignage:

« Et qu'est la vie, sinon la viande par-dessus l'os qui nous distingue des défunts ? » Cannibales, Régis Jauffret (2016). 
Si je ne suis qu’un « sac d’os », que j’ai « la peau sur les os » est-ce que ça signifie que je ne suis finalement pas en vie? Que je ne l’ai jamais été? J’ai toujours entendu les remarques sur ma prétendue maigreur alors même que j’étais une enfant en excellente santé. Elles m’ont insufflé la mort sans même que je ne le sache, l’idée que les os saillants étaient comme des couteaux qui transperçaient ma peau et m’ôtaient la vie s’est glissée en moi et à commencer à me dévorer. Ce qui n’était qu’un fait de morphologie est devenu l’obsession d’une vie. A l’origine je mangeais sans grossir, jusqu’au jour où j’ai arrêté de manger pour ne pas grossir. Il y avait cette idée persistante que plus mes os ressortaient de sous ma peau, plus on me remarquait; parce que j’avais l’air morte, parce qu’un sac d’os calcinés, c’est la mort et qu’on croise pas la mort à tous les coins de rue, à la pharmacie, au collège, au cinéma. Il fallait être maigre parce que c’est tout ce que j’avais toujours été. La petite maigrichonne toute pâle au fond de la salle.
La petite maigrichonne en bonne santé s’est laissée mourir à petit feu. Compter tout ce que j’avale. Evacuer le surplus. Mentir. Mesurer chaque parcelle de mon corps. Mon omoplate gauche ressortait un peu plus hier, non? Maigrir à tout prix. C’était la maigreur ou la mort, la maigreur jusqu’à la mort.
De simples remarques ont fait naître en moi un monstre invisible qui se nourrit de ma faim. Un monstre qui ressasse en permanence ces mots balancés par des enfants dans la cour de récré, des professeurs de danse, des amis, de la famille, des médecins. Ces mots qui m’ont fait croire que quelque chose n’allait pas quand tout allait bien, jusqu’a ce que tout aille mal et que je fasse semblant d’aller bien. Il fallait que j’incarne la mort qu’on m’avait attribuée depuis petite. Je m’étais convaincue que c’était la seule chose qui me définissait. Et je ne blâme pas les gens de leur cruauté et de leur maladresse. Je ne les blâme pas non plus de leur inconscience et de leur ignorance. Mais, être maigre n’est pas synonyme de maladie ou de mort. Les os qui saillent n’ôtent pas l’humanité d’une personne. Il y a dans notre société occidentale un culte de la maigreur qui d’un côté culpabilise les gens qui n’entrent pas dans cette catégorisation et de l’autre, pousse ceux qui en font partie à ne surtout pas en sortir. Il y a d’un côté cette idée de corrélation entre maigreur et mort et de l’autre, entre maigreur et beauté parfaite. Il faut rester maigre pour être beau, mais être maigre veut dire être mort. Pourquoi devrait-on penser de la mort qu’elle est la plus belle forme de beauté?

Poème:


Claire et livide
Presque blanc
Blanc ciré, blanc tiré

À côté

Belle comme l'air
Belle comme rien
Le néant intimide
Le néant est pur
Le néant est incolore

L'absence incorpore
L'espace fait place
La matière dérange
La forme dépasse

Le néant est indolore
Alors que la vie se goûte 
Le vide est inodore
Alors que le bruit se bouge

Une cascade de rien
Une image à remplir
Par la blanc du vide
Le blanc d'un cri vide, livide

Une image et rien d'autre
L'image de rien
L'image d'un résidu
La plus pure, la plus simple, sans attribut
Une image réduite à la toile (leur toile?)
Une image

Mais cette image
Cette image veut s'exprimer
Cette image veut vivre, chanter, vibrer
Cette image veut brouiller, charger, tirer
Cette image veut briller jusqu'à s'aggriper
S'aggriper à elle-même, se déchirer, se déchaîner

Cette image veut mourir pour revivre
Renaître et s'enflammer, tout brûler pour tout recommencer
Se retrouver

La réminiscence de cette image (une illusion), c'est le mouvement

Sa métamorphose, c'est le changement
Son droit est celui de décoller
Ne plus se figer, se mouvoir
S'émouvoir

Mais l'émotion est une notion anti-image
L'énergie qui l'anime est antinomique
La vie qui l'abîme décale

Au-delà

Que reste-t-il de cette chenille, dévouée à la soie?
Que reste-t-il de cette idée figée à la mort?
La mort, le néant, elle le retrouvera
Mais d'abord, d'abord, elle se dévoue à son Soi

(Elle n'a pas à se sacrifier, au nom d'une quelconque beauté

Car la Beauté, c'est ce magnétisme de son âme, son âme en mouvement

Sa croyance de devoir illusionner pour plaire, se confondre au dessous pour attirer le dessus

J'accuse cette croyance d'un besoin qui n'existe pas

Elle existe, j'existe

Et toi aussi)

Mais d'abord, d'abord elle doit vivre
Ce qu'il reste de Sa éalité
Ce qu'il reste de son Individualité
Ce reste
C'est justement l'unicité du monde, de l'univers
Ce reste, c'est ce geste
Ce qui la relie aux autres
La distingue, par communion

Ce geste qui la pousse à se tuer, c'est en fait ce qui la fait vivre

(La mort est partout, la mort n'est pas un masque
La mort n'est pas attentionnée ; c'est la vie qui fascine)

Ce qui l'unit à elle-même, la fait vivre

Ce qui réunit son âme à celle de ses soeurs, qui jamais ne se quittent

C'est cette vie, dissidente et indisciplinée





Cette agitation qui ne s'est jamais tue





Cette voix qui s'est toujours écoutée



Cette foi qui va très vite se retrouver


Ce coeur qui pourtant jamais n'a cessé de battre

Je me bats pour moi-même
Autonome, je ressens pour moi-même

J'entends le Silence qui me nourrit


Je combats, dans le simple but
De me réapproprier ma vie


Et je me battrai jusqu'à la fin
Dans le simple but

De vivre ma vie



Cette fois




Car au fond de moi, j'ai faim




J'ai faim de me saisir




M'appartenir




Et vibrer





Moi







Un image...    et rien d'autre?

©Emma Miletti

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